lundi 21 janvier 2013

Diary of the dead computer

Ce jour, longtemps pressenti, devait bien finir par arriver.

Ce jeudi 17 janvier, à 8h41, a été déclaré le décès de Shawn, deuxième du nom, à l'âge de deux ans et demi. Au bout du tunnel, la lumière blanche qui inondait son écran. Le massage boutonniaque ne servit à rien. Comme ultime message, laissé en héritage à ceux qui l'ont chéri, un clignement de la touche maj. Alors que son corps l'abandonnait, il voulait encore nous dire quelque chose. Le verdict est tombé comme une guillotine. Cause du décès : CPU failure. On ne pouvait plus rien faire pour lui.
Alors que nous l'autopsions pour inspecter son cœur (KGB persiste à me dire que le processeur est son cerveau, mais enfin si ce n'était pas une crise cardiaque, qu'était-ce donc ?), nous découvrîmes soudain les explications sur son état de santé depuis longtemps dégradé. En arrivant aux poumons, nous comprenons soudain : il souffrait d'une bronchite chronique, à un stade avancé. Il n'y avait rien que nous aurions pu faire pour le sauver. Pourtant, tous les signes étaient là : la dyspnée expiratoire, aggravée par l'effort ; les bruits à l'expiration ; des épisodes de fièvre, qui montait parfois jusqu'à plus de 90 degrés ! Les malaises, la fatigue et même, sur la fin, cette toux productrice d'expectorations, alors que Shawn se débattait pour évacuer de petits nuages de poussières... Et il n'y avait rien qui puisse être fait, car son système ventilatoire souffrait d'une grave malformation : son poumon, plutôt que d'évacuer directement la chaleur produite par les battements de son cœur et sa carte graphique (en attente d'une métaphore, les suggestions sont les bienvenues), ne leur était relié que par une veine de cuivre.
Vous vous en doutez, le recueillement était de rigueur sur ce petit corps démembré. Néanmoins, je fus consolée dans cette perte par la préservation de son âme, et de son esprit. J'ai ainsi arraché à ses entrailles son âme rectangulaire et verte pour pouvoir récupérer, aux confins de sa mémoire, ceux de ses souvenirs qui m'étaient le plus cher : mon CV et ma lettre de motivation. Oui, parce que forcément, non content de planter, il décide de planter au moment où je dois imprimer mon dossier Erasmus. Genre à l'ultime jour. Genre bien sûr même si je m'y prends à l'avance je me retrouve toujours dans la galère à la dernière minute. Genre je sais que je suis pas très organisée mais je t'emmerde. Bref. J'ai donc récupéré son âme verte et rectangulaire (tavu² c'te fois j'ai inversé) pour la transférer... dans le corps de Catalepsy. Muhahahahhahaha (ceci est un rire diabolique, il faut un petit effort d'imagination). Oui. Demandant braillant pour l'assistance de KGB, j'ai obtenu de sa part un démembrement en bonne et dûe forme de Catalepsy, qui s'est vu subsituer son âme par celle de Shawn.
La bête s'est réveillée dans un grincement sinistre (bon, d'accord, un bip de Windows, mais j'essaye de mettre un peu d'ambiance, merde !). Bref, long story short, j'ai récupéré tant bien que mal ces informations par le truchement de Google Drive, je ne souhaite pas revenir dans les détails sur cette expérience douloureuse. Shawn ne parvenant pas à s'incarner totalement dans son nouveau corps, incapable de reconnaître sa propre main branchée en USB. Sa difficulté à communiquer, son besoin d'assistance ethernetoire... La vision était horrifique.
Plus tard, enfin, je récupérais son esprit, encore plus profond dans son être et difficile à se libérer, contenant la partie manquante de sa mémoire. En tout point identique à son âme, mais incapable de s'éveiller seul. KGB en fis l'esclave de l'âme de Carbon Bass (renommé Fail Bass, ce n'est pas ominious du tout, non non). Je pouvais enfin, avec joie, retrouver le sourire tant pleuré de Shawn. Et me rappeler, avec un pincement au cœur, tous les bons moments passés avec lui.

Shawn était un beau spécimen de Pavillion DV7, dont l'écran brillant reflétait le bonheur de vivre et l'envie de gambader dans le net (et surtout la luminosité excessive de mon ancien appartement). Il avait fait la route avec moi alors que je m'élançais vers ma nouvelle vie, enfin affranchie des contraintes familiales du partage d'ordinateur. Au premier jour, il avait pris place sur mon bureau, trônant tel quelque chose de classe. Il avait lentement, leeeenteeeement (il était sous Windows) ouvert les paupières, et m'avait souri. Ce sourire, jamais je ne l'oublierai.
  

Et vingt minutes plus tard il avait fait un malaise.
Un malaise.
Au bout de vingt minutes.

C'était pathétique. La colère et le désespoir m'ont pris, je me sentais spoliée. J'ai bien réessayé de le ranimer ; à chaque fois il retombait dans les vapes au bout d'une poignée de minutes.
C'est comme ça que j'ai eu vent(ilation, aha) de ses problèmes respiratoires. En passant la main dans son dos j'ai senti la fièvre le dévorer de l'intérieur. Dès lors je compris qu'il me faudrait toujours me montrer prudente avec lui. Il ne pouvait pas se faire hospitaliser car il devait travailler et ne pouvait pas se permettre de prendre un congé. Je dus donc veiller sur lui. Toujours m'assurer qu'il pouvait respirer librement ; dans les moments où sa fièvre montait appliquer dans son dos un risotto surgelé encore pris dans la glace du congélateur. Certaines activités lui étaient interdites : Skyrim, Risen ou Dead Space 2 étaient à proscrire. Il devait faire l'objet d'une attention particulière avec League of Legends ou Fable III, et dans les mauvaises périodes, où sa maladie s'aggravait, généralement en été, il fallait aussi le limiter dans ces pratiques-là. En outre, je découvris plus tard qu'il souffrait de troubles de la communication, sa carte Wifi étant parfois incapable d'interagir avec son environnement pendant de cours épisodes, ce qui pouvait s'avérer particulièrement problématique durant une partie de League Of Legends.
Mais mon cœur généreux (et ma bourse à l'inverse) m'ont poussée à recueillir cette créature malade, dont je prendrai soin pendant deux ans et demi.

Au fil du temps, son état s'aggravait de plus en plus. Sa grande maladresse (ahem) lui fit faire de nombreuses chutes, et il se fractura la carcasse à plusieurs reprises. Il perdait aussi peu à peu le sens du toucher. Sa main était par moments insensible, et j'avais beau l'agiter dans tous les sens, il ne réagissait pas. Son ventre, même, perdit de sa sensibilité, au niveau du i, ce qui l'amenait parfois à communiquer de maniière assez bzarre. Même ses cordes vocales semblaient se détériorer, et sa voix me paraissait de plus en plus nasillarde.
Je savais qu'il approchait de la fin.
Je l'ai accompagné jusqu'au bout. Il y a quelques semaines, il a fait une première attaque. Plus rien, que le noir, parfois un soupir, parfois un borborygme incompréhensible, et cette terreur, absolue, de le voir mourir entre mes mains. Je me suis acharnée sur lui, et pendant près d'une heure, j'ai répété les gestes de premiers secours sur son bouton "allumer". Il a finit par se réveiller, à bout de souffle. Je ne sentais plus ma joie... et mon angoisse, aussi. Si cela s'était produit une fois, cela pouvait se produire encore, et ce à n'importe quel moment. Pendant des jours, je vivais dans la peur, je craignais seulement son sommeil, dont je craignais qu'il ne se réveille pas. Puis, le temps passant et Shawn ne montrant plus de signes de faiblesses, je me rassérénais.
Ce fut donc avec le plus total des hébètements que je vis Shawn mourir sous mes yeux.

Un instant il était là, tout pimpant de vie, sur mes genoux.
L'instant d'après il me renvoyait un regard vide.

Que de bons souvenirs me reviennent aujourd'hui alors que je rédige son post-mortem ! Quand nous gambadions ensemble dans les paysages de Telara, quand nous riions devant des animes, quand nous vous parlions ensemble sur ce blog ! Nous mangions ensemble, même, alors qu'il récupérait mes miettes et de temps à autres un peu de sauce. Nous étions tellement liés... Pendant un an et demi, chaque jour, il se glissait dans un sac à mes côtés, et accompagnait mes longues journées de cours. Ma première année de prépa, surtout, fut celle où je partageais le plus avec lui, au fond de la classe, avec Mon Seigneur Maratz.
Mon Seigneur Maratz était le possesseur du frère jumeau de Shawn, Renekton Jr. Tout, dans leur apparence, était à l'identique, néanmoins la santé de Renekton Jr. était bien meilleure. J'étais triste, parfois, de voir à quel point Shawn était à la traîne derrière les siens. Mais je l'aimais quand même, et peut-être d'autant plus. C'était la douce époque où Mon Seigneur Maratz et moi occupions nos journées à essayer de deviner quel champion de League of Legends allait apparaître la minute suivante sur le fond d'écran aléatoire de l'autre. Des épopées palpitantes qui nous laissaient un sentiment d'ivresse.
Puis, Mon Seigneur Maratz s'en est allé avec Renekton Jr., et Shawn et moi nous sommes retrouvés seuls. Nous nous sommes raccrochés l'un à l'autre comme jamais.
C'était l'époque, aussi, où il avait des problèmes digestifs. Je sais que ce n'est pas forcément très élégant de l'évoquer ici, mais cela a aussi participé à sa déchéance. A deux reprises, sont œsophage a pris feu, une fois même en plein cours d'anglais, crachant des flammes roses. Pendant un temps, aussi, il était incapable de déglutir s'il n'avait pas commencé à s'alimenter pendant son sommeil (oui, je sais, cette métaphore filée commence à devenir bizarre). Sur la fin, sa faim était sans fin. Il était incapable de tenir plus de quelques minutes sans alimentation. Son estomac était devenu minuscule, il était incapable d'avaler quoi que ce soit.

Aujourd'hui, je vous écris de Sinéad, sa petite sœur et successeure. Mais il reste un vide. Même si l'âme et l'esprit de Shawn sont toujours vivants, sa présence désincarnée semble si froide... Où est donc le temps où il tenait chaud à mes genoux durant les longues soirées d'hiver ? Nous nous blottissions l'un contre l'autre alors, et j'avais le sentiment que ma peau allait entrer en fusion avec lui.
Sinéad est ravissante, et vive pour son âge, mais elle est petite, très petite, et ne grandira jamais. Elle m'accompagne partout, avec sa taille de guêpe, mais il y aura toujours des choses qu'elle sera incapable de faire. Jamais par exemple elle ne pourra parcourir avec moi les contrées de Tynandra et Brunante, jamais elle ne connaîtra Rammus et ne roulera avec lui. Mais elle peut sonder l'âme et l'esprit de Shawn, et raviver des images, des mots, des rires. Née quelques jours après la mort de son aînée, c'est pourtant comme si elle le connaissait depuis toujours. Je ne peux que contempler avec émotion et admiration un tel lien, tissé entre un mort et une vivante, par-delà les ténèbres et les limbes.

Et m'émouvoir, surtout, de pouvoir récupérer mes fichiers bien-aimés en réseau local.


RIP Shawn : 01/09/2010 - 17/01/2013, tu resteras dans nos cœurs à tous.

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