dimanche 26 août 2012

De l'art de poutrer son horloge biologique

Hier soir, j'ai testé pour vous (ça fait très vendeur hein ?) le challenge de 10 000 Words a Night. Ce forum, moyennant rien du tout, vous offre, une fois par semaine, un défi d'écriture hautement stimulant. L'objectif : écrire jusqu'à 10 000 mots du texte de votre choix, entre 21h et 4h du matin. Et, croyez-le ou non, même pour quelqu'un d'aussi logorrhéique que moi, 10 000 mots, c'est énorme (entre le triple et le quintuple d'un article de ce blog, alors je vous défends de vous plaindre en molettant mes billets, espèces de femmelettes !)


En somme, c'est une très bonne expérience, mais qui a un prix. L'ennui en effet, c'est qu'il faut tout de même trouver un week-end à sacrifier, parce que bon, déjà votre samedi soir vous le passez chez vous à faire le gros asocial et à répondre sèchement aux gens qui ont le malheur de venir vous suggérer une vidéo de chat ou de pingouin qu'on chatouille, mais surtout, toute une nuit à écrire, c'est éprouvant, et quand à quatre heures du matin vous finissez par aller vous coucher, la tête comme un melon, à n'en plus savoir parler français, vous savez que votre dimanche va être lui aussi sérieusement entamé. Genre si aujourd'hui KGB n'avait pas sorti la carte chance "pâtes à la carbonara", je serais encore en train d'agoniser sur la case "ta gueule et laisse-moi dormir".

 
Par chance, j'ai eu l'opportunité d'affronter ma première Nuit de l'Ecriture dans un environnement hautement propice au dépassent de soi chronométré, puisque je passe ce week-end coincée entre KGB, Wilbefast et Flower Power (un pauvre garçon qui n'a pas su contester son pseudo à temps) qui font leur Ludum Dare. Ludum Dare, c'est un peu l'équivalent geek des Nuits de l'Ecriture, sauf qu'au lieu d'être quatre fois par mois, c'est tous les quatre mois, et qu'au lieu de durer 7 heures, ça en dure 48. 48 heures pour programmer un jeu sur un thème donné, et vu ce que le thème de cette session a inspiré à l'un de mes compatriotes, je suspecte l'exposition prolongée à Ludum Dare de provoquer de graves lésions cérébrales et/ou des séquelles psychologiques irréversible et/ou une sociopathie avancée (rayez la mention inutile). Mais nous y viendrons plus tard, car les informaticiens ont aussi de belles leçons à nous donner en matière de poutrage d'horloge biologique.

En ce qui me concerne, j'ai choisi pour 10 000 Words a Night de reprendre mon roman Dust and Fire, mélange de fantastique et de post-apocalyptique qui ne m'inspirait plus rien depuis un bon moment. Et pourtant, cette lande stérile a révélé hier des ressources insoupçonnées. Effectivement, obsédée par le compteur de mots qui fait l'objet d'un checkpoint toutes les demi-heures, je n'étais pas tellement en position de réfléchir. Ca donnait plutôt du : "Des moooots ! DES MOTS PUTAIN IL ME FAUT TROUVER DES MOTS, viiiiiite ! N'importe quoi, n'importe quoi, mais que ça écrive, merde !" C'est comme ça que j'ai pu profiter de ma panne scénaristique pour rajouter deux nouveaux personnages à la louche complète, improviser de tout nouveaux concepts et sortir un flashback de ma manche l'air de rien... Tout ça pour 4211 mots. 10 pages, et même pas la moitié de l'objectif final, y'a de quoi être déprimé. Bon, j'avoue que côté concentration, c'était moyen-moyen, et la chatbox du forum n'y était pas pour rien. Il est donc légèrement difficile de se concentrer sur la genèse de la fin du monde tout en discutant yaoi et yuri à coups d'émotes-fouets. Ceci dit, je pense que je n'aurais pas pu, dans le meilleur des cas, compter sur plus de 1000 mots de l'heure, rapport au fait que le moindre article de ce blog me prend au moins trois heures (vous voyez maintenant combien je donne de ma personne pour que vous puissiez critiquer le pavétisme aigu de mes articles !)
Et autant écrire des pavés j'aime ça (j'appelle à la barre n'importe laquelle de mes présentations sur n'importe quel forum à n'importe quelle époque de ma vie), autant 7 heures plus tard je suis officiellement vidée de toute vigueur intellectuelle. Je n'en veux pour preuve que Kim, qui, les "oreilles plaquées sur les mains", avance dans une forêt "dense, beaucoup moins ne l'avait suspecté". Et comme si mon incapacité à parler ma langue maternelle ne suffisait pas, il fallait que derrière moi KGB et Wilbefast commentent leurs avancées en programmation dans la leur. Et s'il y a une chose pire que deux personnes qui communiquent dans une langue que l'on ne comprend pas, ce sont deux personnes qui communiquent dans une langue que l'on comprend alors qu'on essaye désespérément de se concentrer sur un texte d'une autre langue, damned anglophones !

Mais le pire était à venir [musique dramatique, trompettes, tambours et tout le toutim, mais pas trop quand même parce que j'ai pas trop de budget].
Le pire, ç'a été quand j'ai compris quel était le trait de génie de Wilbefast. Car, mesdames messieurs, le thème de cette 24ième édition de Ludum Dare est "Evolution", et dans un élan de darwinisme inspiré, Wilbefast nous a conçu une fable eugéniste dans laquelle il faut massacrer des bébés chats pour ne sélectionner que les spécimens les plus génétiquement viables et obtenir une super-mutation résistante à tout. Parce qu'attention, on ne peut pas découper les chatons à la tronçonneuse, non non, ce serait trop simple. On a le choix entre leur mettre le feu, les congeler à l'azote liquide ou les asphyxier avec du gaz. Au-secours-venez-m'aider, je crois que je ne quitterai jamais cette maison vivante.
Cependant, ça ne s'arrête pas là, non non. Les chats au début du jeu, n'ayant aucune résistance particulière, sont blancs. Toutefois, en fonction des résistances qu'ils développent, ils deviennent plus ou moins rouges (feu), bleus (azote liquide) ou verts (gaz), l'objectif étant donc d'obtenir un chat noir à toute épreuve. C'est à ce moment-là que KGB souligne que l'addition de toutes les couleurs donne du blanc, et non du noir, et qu'en conséquence il faudrait inverser la chromaticité des chats, ce qui reviendrait à devoir exterminer les noirs jusqu'à obtenir un chat blanc. Merci KGB, ou comment rendre un jeu néo-nazi en trois secondes.
N'empêche, du plus profond de mon cœur j'espère que c'est le manque de sommeil qui fait naître de telles idées dans le crâne de Wilbefast. Immoler des chatons, quelle horrible personne !
Flower Power, de son côté, n'a pas été transcendé de la même manière par la thématique de l'évolution. Il a en revanche longuement médité devant Box Car 2D, apparemment vivement absorbé par l'idéal de mutation génétique des voitures. Il demeurait ainsi, devant son écran, le regard vide impénétrable, et Nvidia seul sait ce qu'il se passait dans les remous de ce crâne vide tourmenté.

Quant à moi (ahahaha, je procède à l'alternance des héros dans cette histoire, tavu²), je me recueillais sur le Mémorial de Blaise Pascal, dans un incompréhensible élan théologique dont font déjà preuve les références de mon précédent article. Puis, tout naturellement, portée par mes récits de dévastation de la Terre, exaltée par les ravages que je déchaînais sur mon humanité, j'ai senti mon crâne résonner d'un pompeux "Now, I am become Death, the destroyer of worlds" qui faisait bouillir mon cœur sous l'ivresse du sadisme et de la toute-puissance, muhahahahahahha ! Ou alors, c'est parce que je me suis remise à jouer à Braid (les initiés comprendrons).

[Nous interrompons la rédaction de ce programme, chose dont vous ne vous seriez immanquablement pas aperçus, pour prendre une douche et jouer à League of Legends. Nous reviendrons après cette courte page de publicité.]

 

Rebonjour, rebonsoir. Merci de nous retrouver après ces quelques heures instants de suspension du programme. Durant la première partie de notre émission, vous avez donc été introduits à deux nouveaux personnages, Wilbefast-le-gros-sadique-violeur-de-bébés-phoques-qui-taffe-avec-le-diable-et-massacre-des-petits-chatons-mignons-tout-plein-ronron-miaou et Flower Power, le type au regard d'autoroute qui n'a pas trouvé la force de se débattre contre le pseudo tout mignon tout plein cœur cœur smiley cœur que lui a attribué KGB. Et pendant que les mâles sont allés chercher de la pizza, on m'a laissée là à jouer à League of Legends, en alternant Defensive Ball Curl et Lunar Rush dans la plus parfaite féminité. Et bien sûr, entre les parties, je ricanais encore en me prenant pour Oppenheimer.
Pourtant, je ne suis pas revenue sur mon texte de destruction du monde. Pour tout avouer, j'ai peur. Peur de ce que j'ai pu mindlessly débiter pendant mon rush de mots. Peur de me sentir comme les scénaristes de Fringe dans la saison 3, dont j'ai toujours eu l'impression qu'ils ont écrit un flingue sur la tempe, genre il leur fallait absolument trouver quelque chose vite vite dis un truc n'importe quoi sinon ta sœur va y passer. [ATTENTION SPOILER DE LA MORT QUI TUE LES CHATONS COMME WILBEFAST] euuuh ouais... alors euuuh... ils vont aller dans la tête d'Olivia et là euuuuh... bah eeeuh... tout sera en dessin animé et NON NON PITIE ME TUE PAS ils vont se faire attaquer par des zombies, sisi c'est cool les zombies pitié et puis après euh... euh.. ouais ben ils vont s'enfuir en zeppelin... ben parce que, y'avait un zeppelin sur le toit, je sais pas moi, merde ! [FIN DU SPOILER DE LA MORT QUI TUE LES CHATONS COMME WILBEFAST] En fin de compte, mon texte ne peut pas être aussi terrible que ça... mais ce n'est pas une raison pour prendre des risques inconsidérés en ouvrant le fichier, j'voudrais pas qu'il m'explose à la gueule moi !

Je me retourne donc pour voir comment mes amis programmeurs se débrouillent de leur côté. Et c'est là que je me rends compte que programmeur, c'est un bien grand mot. Flower Power joue à League of Legends, KGB, dans le souci de tester la base rythmique de son jeu, enfonce une touche toutes les secondes comme un attardé mental et Wilbefast, en dépit de sa cruauté sans limites, est le seul à avoir l'air un tant soit peu sérieux, entre ses séances de massacre de chats. Et bien sûr, le temps que j'écrive ces lignes, KGB s'est levé, s'est jeté sur moi, m'a écrasée de tout son poids, s'est exclamé "il faut que je fasse des bulles ! des bulles !" et est retourné s'asseoir. Tout est parfaitement normal.
A part ça, de temps en temps, ils prononcent un mot que je comprends, du style "fps" ou "polygone", et je me sens intelligente. Et puis de temps en temps aussi, pour châtier comme il se doit le manque de sérieux déplorable de Flower Power, je m'amuse à seeder comme une malade exercer une quelconque activité légale bandepassantophage, juste histoire de planter son fps à League of Legends. Muhahahahaha ! Now I am become Death, the destroyer of ratios ! Hélas, il a trouvé un autre jeu vers lequel se tourner. Je suis désespérée, j'ai tout essayé, je n'arrive pas à faire rentrer ce gosse dans le droit chemin ; et puisque maintenant Super Nanny est morte j'ai perdu tout espoir.
Il faut dire que le jeu qu'il a développé ces dernières 43 heures est un petit bijou, où l'on incarne une boule noire, et puis y'a des bandes jaunes qui descendent, des rectangles de couleur qui tombent, et il faut sûrement faire un truc avec ça. Lors de l'interview que Flower Power a eu la gentillesse de nous accorder (attention mesdames-messieurs, ceci est une exclusivité !), il a confié à notre rédactrice-trop-belle-trop-drôle-et-trop-intelligente (et surtout trop modeste) : "Il est bien ce jeu, je crois que je vais le vendre. Ou acheter des gens pour qu'ils y jouent."

Oh mon Dieu. Je viens d'entendre "surprise cat sex". Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu.

Bon, je pense qu'il va falloir que je vous laisse ici, chez lecteurs, je vais essayer de ramper à l'étage en-dessous sans me faire remarquer afin de rassembler mes affaires et prendre la fuite, avant que je ne finisse dépecée sur la table de la cuisine au cours d'un rituel dédicacé au Dieu-Mangeur-De-Chats. Ou dépecée pour une autre raison, puisque Flower Power ayant appris que je le mentionnais dans cet article m'a demandé si j'avais écrit des trucs gentils.
Je lui ai répondu que j'avais écrit des trucs honnêtes.

Adieu monde cruel.


PS: KGB vient de se mettre à chanter et Wilbefast miaule dans son micro. Je pense que le rite vient de commencer.

Pitié je ne suis pas une jeune vierge.

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